Le Conseil d’Etat a rendu le 14 juin dernier un arrêt essentiel, dont la motivation nous ramène à nos fondamentaux constitutionnels, dans un monde et dans un temps où la vie des citoyens est trop souvent emportée par des impératifs financiers, économiques et technologiques.
Que n’entendons-nous pas à longueur de journée ces discours incantatoires à l’emporte-pièce où on nous fait croire que « les grands défis du futur » nous imposent ipso facto des objectifs de rationalisation, de gouvernance, de concentration du pouvoir, de centralisation des structures, d’automatisation.
Dans la précédente législature, la Ministre de la santé Maggie De Block avait inscrit dans un pacte dit « d’avenir », diverses modifications des missions et rôles des mutualités au travers d’un document de 74 pages, sorte de mémorandum politique reprenant sa vision néolibérale et relativement anglo-saxonne du secteur des mutualités.
Dans cet épais document, dont finalement pratiquement rien n’a été réalisé, quelques lignes assassines :
« -Action engagement 37- L’augmentation substantielle du nombre minimum de membres entrant en ligne de compte pour une seule mutualité : réaliser au moins 75 000 bénéficiaires (NDLR : titulaires) avec rentrée en vigueur au plus tard le 01/01/2019 ou le 01/01/2020, avec la possibilité d’avoir au moins une mutualité par région linguistique, moyennant l’accord exprès du conseil d’administration de l’union nationale ; »
La Ministre a ensuite implémenté cette mesure dans un arrêté royal du 22 février 2019, prévoyant donc l’obligation pour les mutualités de compter désormais au moins 75.000 membres.
Cette décision politique a déclenché un large mouvement de fusions entre beaucoup de mutualités, mouvement encore en cours.
Constatant que le but poursuivi n’était pas du tout fondé ni les motivations invoquées objectives, la Mutualité Socialiste du Luxembourg a introduit un recours au Conseil d’Etat dès le mois de mai 2019.
Il aura ainsi fallu attendre plus de deux ans avant d’obtenir une décision de justice qui rétablisse la situation.
Dans son arrêt du 14 juin 2021, l’analyse du Conseil d’Etat a placé cette mesure politique face à face avec notre Constitution et plus particulièrement face à son article 27.
Que dit cet article 27 de la Constitution ?
« Les Belges ont le droit de s’associer ; ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive. »
La loi du 24 mai 1921 garantissant la liberté d’association complète ce principe.
Son article 1er est rédigé comme suit :
« La liberté d’association dans tous les domaines est garantie. Nul ne peut être contraint de faire partie d’une association ou de ne pas en faire partie. »
Il faut relever aussi que cette loi contient des dispositions pénales tendant à sanctionner les comportements de nature à contraindre une personne à faire partie d’une association ou à n’en pas faire partie et ce, en usant de diverses formes de pression et/ou de violence.
De nombreux textes européens et internationaux consacrent également le droit d’association :
• la Constitution de l’OIT (Déclaration de Philadelphie – partie 1) ;
• le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 22) ;
• la Convention Européenne des Droits de l’Homme (article 11) ;
• la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (articles 11 à 14) ;
• la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (article 12) ;
• la Charte sociale européenne (article 5).
Relevons ici que, conformément à l’article 11, §2 de la C.E.D.H., seules des mesures nécessaires à « la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » peuvent justifier une restriction à la liberté d’association.
En l’occurrence, on en est loin et ce qui signifie que des motifs économiques ne peuvent justifier, seuls, des restrictions à la liberté d’association.
L’article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne ne doit, par ailleurs, pas être perdu de vue :
« Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés (dont le droit d’association – article 12). Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou aux besoins de protection des droits et libertés d’autrui. »
On relèvera ici l’importance du principe de proportionnalité qui limite significativement la possibilité de porter atteinte à l’exercice du droit d’association tel que prévu par la Charte. Les limitations doivent être nécessaires et répondre à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union. Il ne peut donc être question de limitation pour d’autres raisons.
Le Conseil d’Etat a donc pu constater que l’arrêté royal contesté avait indiscutablement une répercussion négative sur la Liberté d’association des belges.
Le Conseil d’Etat a également relevé qu’il n’y a aucune justification admissible du rehaussement considérable du nombre minimal de
membres que doit compter une mutualité !
Il a ainsi constaté le caractère illégitime et tout à fait disproportionné de la décision de la Ministre De Block et a par conséquent intégralement annulé l’arrêté royal.
Par cette motivation, ô combien symbolique, le Conseil d’Etat nous a ramenés en fait et en droit à nos fondamentaux. Il a rappelé à tous les décideurs politiques que dans notre monde dit moderne, notre Liberté fondamentale à nous associer prime sur toute politique de mécanisation aveugle des comportements de notre société.
C’est avant tout l’Humain que le Conseil d’Etat à (re)mis en avant, dans une décision de justice adaptée au bien-être de nos citoyens.
Plus accessoirement, cette décision de justice met également en lumière le combat qu’une petite entité associative a mené pendant plus de deux ans face à l’Etat belge.
A travers cela, dans ce monde où restreindre les libertés est si souvent tentant au motif de ce que le politique pense être le bien-être collectif, il faut relever le courage de quelques citoyens (institution) à s’indigner face à des mesures qui touchent leurs valeurs et qui mènent ensuite la lutte sans craindre de sacrifier leurs intérêts personnels pour que vivent leurs idéaux.
L’inverse est si souvent la règle de nos jours, quand la plupart cède sans combattre, se désintéresse de la chose publique, de leurs droits civiques, permettant ainsi à tous les totalitarismes de pousser leur tête, qu’il faut relever que ce combat de la Mutualité Socialiste du Luxembourg pour ses valeurs a une portée exemplaire.
Puis-je espérer que cela puisse servir de leçon à tous ces ambitieux du pouvoir qui ne rêvent qu’à nous asservir ?
C’est à cela que sert la Justice d’une démocratie évoluée et qu’il faut soutenir en lui donnant les moyens de rester humaine et sociale.
Dr. Jacques DEVILLERS
Secrétaire de la Mutualité Socialiste du Luxembourg
29 juin 2021
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